jeudi 16 mars 2017

Whiplash goes to Hollywood

Jazz is about the future.
Keith (John Legend)


C'est peu dire qu'on retrouve dans La La Land beaucoup des deux précédents films de son réalisateur, Guy and Madeline on a Park Bench (déjà une romance bohème impliquant un jeune aspirant musicien de jazz, entrecoupée de numéros musicaux) et Whiplash (déjà l'impossibilité de concilier les relations humaines et un engagement total pour son art), mais sous une forme plus glamour, plus alanguie, plus hollywoodienne ; plus construite aussi. Cette transmutation n'est pas l'une des moindres forces du film, dont il ne s'agira pas ici de nier les réussites et le plaisir qu'il procure, en faux feel-good movie cachant sous des appâts séducteurs et brillants, une musique emballante du fidèle Justin Hurwitz, et la très sympathique prestation du duo Emma Stone et Ryan Gosling, une ode aux losers accrochés à leurs rêves (Here's to the ones who dream / Foolish as they may seem / Here's to the hearts that ache / Here's to the mess we make...). Couronné d'Oscars par une Académie auto-satisfaite et dont on peut raisonnablement penser qu'elle n'y a pas vu plus loin que le bout de son nez, le film de Damien Chazelle s'achève certes en offrant à Mia et Sebastian la réalisation de leurs aspirations au succès individuel sans renier leurs idéaux artistiques mais au prix de tout le reste, le bonheur commun n'étant, lui, plus qu'un rêve perdu, fugitif, plus artificiel et irréaliste que le genre même de la comédie musicale par lequel leur histoire nous a été présentée, ce qui peut inviter à la circonspection. L'inconvénient, en revanche, de cette "gentrification" du cinéma de Chazelle, est qu'à côté de cela, un certain nombre de points problématiques qui pouvaient passer sous le radar de par l'aspect encore un peu "amateur" et flottant de Guy and Madeline... ou de par l'aspect "coup de poing" d'un Whiplash emportant le spectateur, trouvent cette fois tout loisir de s'étaler. Chaque moment de grâce ou d'enthousiasme y avance accompagné, lesté, d'un pendant théorique, et cette théorie semble toute entière confite d'un passéisme quelque peu étonnant chez un réalisateur de trente-deux ans, mais dont l'expression, ici à ciel ouvert, ne trompe pas. Ainsi, tandis que la pièce écrite par Mia est toute entière définie par le qualificatif de "nostalgique", rien ne nous sera épargné des considérations de Sebastian sur un prétendu "jazz pur", appellation déroutante et qui recouvre effectivement une conception du genre restée figée dans les années 50 / 60. La contradiction apportée dans le film par le personnage de Keith dont on pourrait dire, en reprenant Cocteau, qu'il invite à se méfier des conservateurs de vieilles anarchies, et à regarder plutôt du côté des évolutions plus modernes du jazz est vite disqualifiée, rendue inaudible puisque ce discours ne se traduit à l'écran que par de la soupe et de la frime. Son "How are you gonna be a revolutionary if you're such a traditionalist?" lancé à Sebastian résonne pourtant comme un avertissement que le réalisateur pourrait bien se lancer à lui-même (qui, en 2017, ne cesse de citer comme inspirateurs Jacques Demy et la Nouvelle Vague), comme la voix d'une mauvaise conscience que Chazelle ne devrait pas étouffer, sous peine de voir sa propre démarche revivaliste se traduire bientôt en sclérose précoce.