jeudi 23 juin 2016

Le démon du masque


Chaque fois qu'elle entre dans une pièce, Jesse capte toutes les attentions. S'il y a bien une chose que ne semble pas craindre Nicolas Winding Refn dans sa mise en scène de The Neon Demon, c'est d'en faire trop – au point que, sans vouloir faire injure à son interprète Elle Fanning (qui, de fait, a déjà eu plusieurs occasions de prouver qu'elle possédait quelque chose d'un pouvoir de cet ordre à la mesure de films entiers), il est tout de même permis de se demander ce qui met ainsi certains protagonistes au bord de l'orgasme dès qu'elle fait trois pas. La réponse en est explicitement donnée dans une scène du dernier tiers du film : Jesse porterait l'irruption d'une beauté naturelle, spontanée, intouchée, dans un univers de mannequins bistourisés, qui, sous couvert de recherche de la perfection, n'ont atteint que l'artificialité. Elle est le soleil de ces fantômes et ces vampires. Le premier paradoxe apparent (mais, à n'en pas douter, voulu) est que ce jugement est porté à un moment où Jesse a justement entamé une métamorphose qui échappe au commentateur ; si celle-ci n'est pas de l'ordre de la chirurgie, il est en tout cas clair, à ce stade, que ce qui pouvait paraître constituer l'innocence du personnage est en cours d'abandon comme la dépouille d'une mue. Simultanément, le second paradoxe est que cet éloge du "naturel" est le propos d'un film formaliste en diable, maniériste jusqu'au bout des ongles. Si le réalisateur revendique le classique A Star Is Born comme source première de son inspiration, à l'écran le résultat ressemble au fruit des amours imprévues des Showgirls de Paul Verhoeven et du Knight of Cups de Terrence Malick, accouché par les mains de Paul Schrader et Dario Argento avant d'être passé à la moulinette d'un David Lynch. Foisonnement de références esthétiques comme en écho au foisonnement d'un scénario pointant vers de multiples pistes de développements possibles qu'il prend hélas rarement le temps d'explorer trop avant (je me prends à rêver d'une déclinaison sous forme de série télévisée, mais je m'égare). Le destin de son héroïne et la forme même du film jouent, en cela, la même partition : l'introduction, au cœur d'une efflorescence aussi factice que toxique, d'une particule d'innocence et de naturel, aussitôt jalousée, convoitée, désirée, et finalement et littéralement dévorée, ingérée. Mais jamais tout à fait digérée...