vendredi 3 octobre 2014

Fort comme la mort



Mario Caiano n'est pas l'un des noms qui vient en premier à l'esprit lorsqu'on évoque le cinéma fantastique transalpin des années 50-60. Il ne fut ni Freda, ni Bava, ni même un petit maître reconnu comme Margheriti ou Mastrocinque, et resta toute sa carrière un artisan obscur s'employant dans tous les genres à la mode, du péplum au giallo au passant par le western spaghetti. Sous le pseudonyme d'Allan Grünewald, il réalisa pourtant en 1965 avec Amanti d'oltretomba tout à la fois l'un des fleurons de sa carrière et de la vague du gothique à l'italienne (il est vrai éphémère, et déjà finissante à cette date). Tourné en un mois dans le huis clos d'une villa romaine, avec un budget évidemment minimaliste et six acteurs en tout et pour tout, le film est investi de tout l'amour et la fascination pour le fantastique de son concepteur, marqué par le souvenir de sa découverte, enfant, d'Edgar Poe, lu pendant les soirs de couvre-feu imposé par les troupes d'occupation nazie à Rome (bonjour l'ambiance), ainsi que par l'influence de Mario Praz dont il fut l'un des étudiants à l'université. Caiano montre également qu'il sait bien s'entourer, assisté dans le choix du décor par Bruno Cesari (lequel officiera notamment par la suite chez Leone et Bertolucci), confiant les éclairages à Enzo Barboni – chef opérateur attitré de Corbucci à cette époque, qui offre là un noir et blanc assez somptueux aux contrastes très expressifs – et la musique à Ennio Morricone – qui s'en donne à cœur joie aux grandes orgues, mais cisèle aussi une entêtante petite ritournelle romantique au piano, par laquelle le personnage de Muriel, au début du récit, "appelle" son amant, et qui deviendra par la suite un leitmotiv hantant, littéralement, le film.


Devant la caméra, on retrouve Paul Müller en châtelain sadique et savant fou (dont le domaine d'expérimentation n'est jamais vraiment précisé, quoiqu'il lorgne abondamment vers les transfusions d'I Vampiri), et surtout l'incontournable Barbara Steele dans un des rôles à multiples facettes qu'on lui confia régulièrement dans les années qui suivirent La Maschera del demonio, la montrant toujours aussi fascinante en victime qu'en bourreau. Ici, elle est Muriel, première épouse, brune, adultère, du professeur, et Jenny, sa sœur, blonde virginale, et seconde épouse que le méchant compte bien, pour récupérer enfin la propriété des lieux, torturer psychologiquement avec autant de cruauté qu'il a torturé physiquement la première après la découverte du pot aux roses. La donne se complique lorsqu'il apparaît que le fantôme revanchard de Muriel se met, dans des moments de crise, à posséder l'esprit affaibli de sa jumelle (on pense évidemment à Vertigo). Si la grande égérie du gothique transalpin vivait comme un calvaire cet enfermement dans un même type de rôle, reine d'un genre qu'elle n'appréciait guère, et n'allait pas tarder, pour l'essentiel, à tirer sa révérence, rien n'en transparaît ici à l'écran et il est juste de dire qu'elle porte sur ses épaules une grande part de la réussite du film. Il serait abusif, en revanche, de réduire celle-ci à la performance de son actrice principale. Si ces Amanti d'oltretomba n'évitent pas quelques faiblesses et raccourcis faciles, les amateurs apprécieront l'originalité avec laquelle Caiano traite des motifs traditionnels du registre auquel il rend hommage, son talent pour les atmosphères subtilement oppressantes mais aussi les quelques échappées qu'il s'autorise (si les commentateurs évoquent souvent la violence inattendue des premières scènes, il est aussi capable d'une belle séquence onirique évoquant Cocteau et Buñuel), et quelques jolies trouvailles en matière de poésie macabre – comme cette orchidée plantée dans les cendres des amants qui se met soudain à secréter du sang...

2 commentaires:

  1. Les 'grands' esprits se rencontrent... dans la même serre gothique - aussi vénéneuse mais plus politique pour "La Résidence" - puisque nous évoquions récemment ce titre avec Olivier Père et Dirty Max 666 :
    http://dirtycinema.over-blog.com/2014/09/quand-le-gothique-a-du-steele.html
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/08/la-residence-la-mauvaise-education.html?view=magazine

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    1. Rencontre, dans le premier cas, dont il n'y a pas à chercher la justification plus loin que la sortie du DVD Artus (fort belle copie et intéressants bonus), et bien sûr les qualités du film lui-même. Beau parallèle en tout cas chez "Dirty" entre Barbara Steele et les mots du *Désir de peindre* de Baudelaire.
      Pour ce qui est de *La Résidence*, en revanche, je dois bien avouer que je ne vois pas le rapport.

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