jeudi 31 mai 2012

Fugue...


– Attends, sérieusement : rien, pas le moindre petit prix ?
Tu attendais quoi d'un festival qui prime Michael Haneke ?
Et pas pour la première fois, en plus...
– T'as raison, ça craint, faut qu'on se casse de là, et vite.

lundi 28 mai 2012

Une apparition

Quelques instants plus tard, j'en compris l'utilité : cet étroit pont de pierre, sans doute jeté jadis par-dessus une rivière, et qui se trouve maintenant ne relier les deux segments de route passant par là qu'au prix de deux périlleux virages à 90 degrés, de part et d'autre, ce pont imposait assurément la mise en place d'un moyen de freiner les automobilistes d'aujourd'hui avant que ne s'accumulent les accidents. Pourtant, alors que je continuais mon périple, cette explication logique, cohérente, rationnelle, enlevait peu au sentiment d'étrangeté provoqué par la soudaine rencontre de ce feu tricolore, planté au cœur de la nuit et d'une forêt où il constitue, pour qui la traverse, le seul signe de la civilisation moderne à des kilomètres à la ronde.

vendredi 25 mai 2012

Et maintenant une note globalement inoffensive


Rita a peut-être oublié beaucoup de choses, mais certainement pas le Towel Day 2012. D'autant que cette année, des petits malins ont pu observer qu'en additionnant le jour, le mois et l'an de cette grande célébration de la serviette (et de l'œuvre de Douglas Adams), on n'obtenait rien moins que le chiffre 42 ! Une coïncidence cosmique d'une telle ampleur ne pouvant décemment pas ne pas être célébrée, il ne reste plus à notre héroïne qu'à mettre la main sur un poisson Babel et à se rendre au Milliways, le dernier restaurant avant la fin du monde, où elle a réservé une table pour ce soir. Parfois la vie est bien faite.

samedi 19 mai 2012

Clouseau, le jour des fous

What if he's right?... I'm finished, washed up. Sanity and
reason become things of the past. Madness reigns.
Commissioner Dreyfus (Herbert Lom)


Il n'y a guère de raisons de ne pas prendre au sérieux la prédiction du commissaire Dreyfus à son analyste : ce qu'annonce la vérification, contre toute évidence, de la certitude qu'a son subordonné l'inspecteur Clouseau de l'innocence de la soubrette Maria Gambrelli des meurtres dont on l'accuse, ce n'est rien moins que l'avènement du règne de la Folie. Et Dreyfus bien sûr, avec ses tics nerveux et ses automutilations, manifeste lui-même les premiers symptômes de la contagion. La construction d'A Shot in the Dark, c'est la montée en puissance d'un dérèglement. Les esprits chagrins diront que le film met du temps à démarrer. Les premiers gags de Clouseau font sourire mais peut-être pas s'esclaffer franchement, et le rythme n'a rien d'effréné. Mais l'introduction de ce personnage décalé dans un environnement normé – le milieu social, mais aussi le genre (le récit policier) agit comme un ferment, qui va, progressivement, inéluctablement, tout contaminer autour de lui, jusqu'au dynamitage final, et littéral, de la réunion des suspects à la Hercule Poirot. Entre les deux, si Blake Edwards use volontiers du comique de répétition, ce n'est jamais en horloger minutieux et exact d'une mécanique comique parfaite qui pourrait, à sa façon, être synonyme d'un certain ordre. Clouseau et Hercule ne parviendront jamais à synchroniser leurs montres. Il y a chez Edwards et Sellers  une sorte de génie de l'à-côté de la plaque : une sorte de rythme perpétuellement faussé, qui chez d'autres flanquerait tout par terre, mais définit ici les conditions du feu d'artifice. Les engrenages se télescopent les uns les autres. Seul le désordre règne. Et certains d'entre nous ne demandent qu'à se laisser emporter.

mercredi 16 mai 2012

Pour saluer Fuentes


Carlos Fuentes – 1928-2012. 

Dans le ballet des commentaires stériles et la cacophonie de vide qui saturent les médias autour des moindres faits et gestes de notre nouveau président et des gesticulations du clan déchu, et dans la partie du petit espace laissé à l' "actualité culturelle" qui ne soit pas entièrement consacrée à l'imminente ouverture du Festival de Cannes, tombe soudain la nouvelle de la disparition de l'un des plus grands écrivains contemporains, et de mes préférés. J'étais justement en train, ces jours-ci, de lire et relire (respectivement) ses recueils de nouvelles fantastiques, Constancia et autres histoires pour vierges et le plus récent En inquiétante compagnie : c'est un sentiment étrange que de se dire qu'en tournant une page d'un livre, celui-ci change soudain, d'œuvre d'un auteur vivant, en celle d'un auteur "du passé" ; surtout quand le livre lui-même est plein de morts qui reviennent à la vie et de vivants qui ne le sont pas autant qu'ils le croient. Je me souviens avoir découvert Fuentes en me lançant, sans doute inconsidérément, et, si je ne me trompe, en marge de ma première année de fac, directement à l'assaut de Terra Nostra, massif immense et fou auquel je n'avais évidemment pas compris grand-chose, mais où j'avais puisé nombre d'images qui continuent depuis de peupler mon imaginaire. Les années qui suivirent (avec ou sans Laura Díaz...) l'installèrent définitivement dans mon panthéon personnel, non loin de ses "voisins" Carpentier et Cortázar. Fuentes, c'était un regard et une voix capables d'embrasser, et de brasser, tout à la fois le réalisme et l'onirisme, l'Histoire et l'actualité, la politique et la merveille. En somme, une sorte de serpent à plumes. Ses textes lui avaient valu le Gallegos et le Cervantes, soit les plus hautes distinctions littéraires d'Amérique latine et du monde hispanophone, mais il sera resté un de ces éternels favoris, toujours cités, jamais couronnés, du prix Nobel, laissé à la porte par les membres d'un comité qui, signalons-le en passant, parmi les lauréats de ces dernières années, lui aura préféré un certain nombre d'insignes médiocres. Tant pis. La liste de ses "œuvres complètes" comporte un certain nombre de romans non encore traduits en français, mais aussi d'autres dont nous ne connaîtrons jamais que les titres et la place qu'ils devaient occuper dans cette grande architecture inachevée qu'il avait conçu pour ses écrits. Tant pis encore. Tant mieux. Nous reste la part de l'imagination qui jamais ne s'éteint. Nous restent les mots magiques qui transfigurent le réel sans l'oblitérer.

mardi 15 mai 2012

De l'ineffable


J'ai composé, tout en me promenant, bien des phrases parfaites dont je ne me rappelle pas un mot, une fois rentré chez moi. La poésie ineffable de ces phrases vient-elle toute entière de cela qu'elles ont été, ou bien, en partie, de n'avoir jamais été ?

Fernando Pessoa (traduction de Françoise Laye), Le Livre de l'intranquillité.

mardi 8 mai 2012

Rencontres musicales


C'est peu dire que j'attendais la nouvelle série d'animation de Shin'ichirō Watanabe. C'est peu dire aussi que je ne m'attendais pas à ce que j'ai reçu en plein cœur. Sakamichi no Apollon, diffusé depuis la mi-avril au Japon, est un éblouissement. Comparé aux joyeux mélanges des genres et des influences et à la fantaisie qui caractérisaient les deux précédentes séries de Watanabe, ce nouvel opus peut d'abord surprendre, il est vrai, par son apparente simplicité et un certain classicisme. Histoire d'amitiés et d'amours adolescentes dans le Kyūshū des années 60, sur fond de passion commune pour le jazz, Sakamichi no Apollon (ou Kids on the Slope, de son titre "international") semble bien loin de l'univers SF de Cowboy Bebop comme des anachronismes déjantés de Samurai Champloo. Pourtant, quoique plus discrètement et cette fois sur un mode de chronique réaliste, c'est bien encore sur un fond de mélanges culturels plus ou moins improbables que s'inscrivent les rencontres des personnages, dans un Japon provincial d'après après-guerre qui balance entre regards toujours portés vers la tradition, et influences occidentales issues pour large partie de l'occupation américaine. Et comme toute bonne interprétation d'un standard de jazz, le scénario navigue entre l'évidence et les bifurcations plus inattendues. C'est quand on croit connaître l'histoire d'avance, pouvoir paisiblement s'abandonner à un déroulé prévisible pour mieux en apprécier les scènes les plus réussies, qu'elle prend des tours que l'on n'avait pas vu venir. On en suit l'avancée tout en marquant du pied et des doigts les rythmes d'Al Blakey, Bill Evans, Chet Baker qui se mêlent à la b.o. de Yoko Kanno retrouvée, tout semble couler limpidement, et l'on s'aperçoit que ce rythme était trompeur, la temporalité pas si claire, et que quand tout semblait s'enchaîner, on est passé, en quatre épisodes, de la fin de l'été à l'approche de Noël. Qu'on y ajoute une réalisation fluide, une esthétique lumineuse, une ambiance dans laquelle on ne demande que de s'immerger, et l'on comprendra que le maître Watanabe est plus que bien parti pour nous gratifier, ce printemps, de l'une des plus belles séries animées que l'archipel nous ait offertes depuis longtemps.

lundi 7 mai 2012

Les aléas d'une vie sociale

C'est dans un rayon de supermarché, entre les croque-monsieur et les raviolis, que je recroise cette ancienne connaissance, plus vue depuis huit ou neuf mois. La fatigue et un quiproquo aidant, je ne réalise pas tout de suite que dans l'assez vaste groupe que nous fréquentions jadis lui et moi, réuni autour d'une amie commune, il se rattache plutôt à tous ceux qui reprirent, il y a des années, leurs distances, lorsque l'amie en question s'éprit d'un nouvel arrivant à la personnalité iconoclaste, que je lui avais d'ailleurs présenté. À l'inconscience dont je témoigne en le supposant convié à leur mariage prochain, que je mentionne, répond sans tarder la sienne lorsqu'il commence à critiquer le fiancé, "ce type bizarre", ayant manifestement oublié qu'il s'agit d'un de mes proches. Je le lui fais remarquer. Alors la gêne s'installe, car en créatures civilisées que nous sommes nous ne pouvons simplement nous planter là l'un l'autre tout aussitôt, et la conversation, donc, continue, s'éternise, au milieu du rayon à nous donner mutuellement de vagues nouvelles de gens que l'un fréquente encore et que l'autre ne voit plus, qui ne nous invitent pas à leurs fêtes ou à leurs soirées, que nous n'invitons pas aux nôtres, et dont nous ne soucions plus de rien savoir.